Expériences sur des singes à l’EPFZ et l’Université de Zurich

Après trois ans de procédures, le Tribunal fédéral (TF) vient de clore définitivement le dossier en rejetant le recours de deux scientifiques de l’institut de neuroinformatique de l’EPFZ et de l’Université de Zurich.

En déposant en janvier 2006, leurs demandes d’autorisations d’expérimentations sur des macaques dans le canton de Zurich, les scientifiques voulaient lancer deux projets de recherche sur la plasticité et la microcircuiterie du cerveau. Sachant que sur les 800 à 900 nouvelles demandes d’expérimentations animales déposées chaque année en Suisse, les refus se comptent en moyenne sur les doigts d’une main, ces deux demandes ne devaient être qu’une formalité administrative.
Pas cette fois. La commission cantonale sur l’expérimentation animale estimant les résultats attendus insuffisants, en regard des maux et des douleurs infligés aux animaux, s’oppose à ces expériences. Les scientifiques engagent alors plusieurs recours contre la décision de la commission, qui seront tous rejetés. Quant à l’Office vétérinaire cantonal (OVC), qui avait décidé de passer outre la décision de sa commission en délivrant malgré tout en octobre 2006 les autorisations demandées, il subit également un cinglant désaveu.

Ces deux projets de recherche fondamentale visaient notamment l’étude de l’activité neuronale dans les différentes zones du cerveau pour localiser les différentes structures visuelles et tenter de comprendre leur organisation.
Pour ces études, les singes devaient subir une phase de préparation d’une durée de 3 à 12 mois pour leur apprendre les exercices visuels à exécuter. Durant cette phase, les macaques étaient sortis de leurs cages, emmenés dans le laboratoire et placés dans une chaise à primates. Leur tête était fixée afin de permettre la mesure de l’activité neuronale.
Une fois la phase de préparation terminée, les expériences pouvaient commencer. Les mêmes conditions étaient répétées à chaque fois durant 3 heures. En cas de bonne réponse, le macaque recevait quelques gouttes d’eau. Pour le contraindre à participer, il était assoiffé par une privation d’eau durant 12 heures avant l’expérience. L’étude était répétée quotidiennement durant deux ans.

Pesée des intérêts en faveur des macaques

En raison de l’accumulation des contraintes (chaise à primates, privation d’eau et durée totale d’expérience très longue), le tribunal administratif zurichois, saisi d’un premier recours, avait attribué le degré de gravité 3 à l’expérience. Ce qui est le degré maximal selon la classification établie par le service vétérinaire fédéral. Pour cette raison, la pesée des intérêts (balance entre les souffrances infligées aux animaux et intérêt à acquérir de nouvelles connaissances) effectuée par le service vétérinaire cantonal zurichois qui avait autorisé ces expériences, était elle aussi contestée par le TF.

Pour le TF, l’absence d’application thérapeutique claire est une donnée importante à prendre en considération pour la pesée des intérêts. L’expérience ne peut être autorisée si l’application thérapeutique est lointaine et nécessite de nombreuses expériences futures. «La détermination du gain prévisible de connaissance doit se reposer sur le résultat concret du cas d’espèce et non pas celui d’un grand nombre d’expériences». En vertu de l’article 137 de l’OPAn al.3, le but immédiat doit être le seul à être pris en compte. Compte tenu de ces éléments, mais également de la proximité particulière qui existe entre les primates et les humains, l’expérience ne pouvait être autorisée.

De cette affaire, on peut retenir qu’une décision de l’autorité cantonale peut enfin être contestée, même si le recourant n’est pas directement lésé par celle-ci. A la raison que l’on a encore jamais vu une souris, un martinet à ventre blanc ou un macaque entamer une procédure administrative pour atteinte à leur santé, les seuls recourants étaient jusqu’à présent des scientifiques, généralement opposés aux restrictions émises par les autorités contre leurs expériences.
On espère que la décision du TF découle d’une avancée de la perception, par nos tribunaux, des dommages provoqués par l’incompétence ou la mauvaise volonté d’une autorité. Trop de cantons délivrent encore aujourd’hui des autorisations d’expériences sans réellement évaluer leur intérêt scientifique en regard des souffrances provoquées aux animaux. La décision tant du Tribunal administratif cantonal que du Tribunal fédéral semble être un signal clair à l’attention des autorités cantonales, les enjoignant à respecter la législation et à faire correctement leur travail.

Plus surprenant fut la réaction de la presse à propos de la décision du TF. Un nombre assez inquiétant de journalistes n’a pas hésité à fournir une vision peu objective du dossier, notamment sur la procédure engagée. On a pu lire qu’une « commission de protection des animaux » était à l’origine de l’interdiction. Dans les faits, si trois représentants de protection des animaux siègent effectivement dans cette commission cantonale, celle-ci se nomme bien « Commission sur l’expérimentation animale». Elle est composée de 11 membres, dont trois représentent l’université et un l’EPFZ ! La décision de refuser ces expériences ayant été prise à la majorité de la commission, on est donc loin d’une décision abusive prise par une « commission de protection des animaux ».
Etait également agité l’éternel spectre de la « fuite des scientifiques », prêts à quitter la Suisse pour trouver refuge dans un pays plus accueillant, sans loi protégeant les animaux, ou alors avec une loi, mais ne l’appliquant pas, ce qui est le plus courant.
En ce qui concerne les industries pharmaceutiques comme Roche ou Novartis, il faut rappeler qu’elles disposent depuis longtemps de nombreuses filiales sur tous les continents. Ainsi, la décision du TF n’entraverait en rien d’éventuelles expériences contestables faites par la pharma : celles-ci s’effectuent déjà depuis longtemps à l’étranger !
Quant à la recherche effectuée dans nos universités, on peut rappeler qu’elle est principalement financée par nos contributions publiques. Que tous ces scientifiques qui menacent régulièrement de partir le fassent enfin et laissent leurs places à la jeune génération de chercheurs qui ne demande qu’à travailler avec des méthodes substitutives. L’aide financière attribuée à la recherche médicale ne baissera pas, elle ne fera que changer de mains. Qui s’en plaindra ?

(1) Arrêt du Tribunal fédéral 135 II 405 et 135 II 384 du 7 octobre 2009

Chronologie

Janvier 2006 : Des scientifiques de l’institut de neuroinformatique de l’EPFZ et de l’Université de Zurich, déposent deux demandes d’expérimentation animale auprès de l’autorité cantonale zurichoise, représentée par l’Office vétérinaire cantonal (OVC). Comme l’exige la législation (voir ci-contre), l’OVC soumet les demandes des scientifiques à la commission cantonale sur l’expérimentation animale. Des compléments d’informations sont demandés aux scientifiques par la commission, qui sollicite également 3 expertises indépendantes.

Septembre 2006 : La commission émet, à la majorité des membres, un préavis négatif sur les deux demandes. Elle estime que ces expériences violent la dignité des animaux, que les bénéfices scientifiques attendus sont trop faibles en regard des maux et des douleurs infligés aux animaux.

Octobre 2006 : Passant outre le préavis négatif de la commission, l’OVC délivre les deux autorisations aux scientifiques.

Novembre 2006 : La commission fait appel auprès du Conseil cantonal contre les autorisations délivrées par l’OVC.

Février 2007 : Le Conseil cantonal accepte l’appel de la commission et interdit les deux expériences.

Mars 2007 : Les scientifiques font recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif.

Mars 2008 : Après avoir confronté à deux reprises les arguments du Conseil cantonal, de l’OVC, de la commission et des scientifiques, le Tribunal administratif rejette le recours et maintient l’interdiction des expériences. Il précise notamment que l’apport scientifique n’est pas suffisamment démontré.

Juin 2008 : Les scientifiques font recours contra la décision du Tribunal administratif auprès du Tribunal fédéral.

13 octobre 2009 : Le Tribunal fédéral rejette le recours des scientifiques. Le dossier est clos, les expériences définitivement interdites.