L’entreprise InSphero, basée à Zurich, met sa technologie 3D in vitro de pointe au service des scientifiques pour moderniser la découverte de médicaments. Discussion avec une partie de l’équipe.
Comment et quand est née l’idée d’InSphero ?
Nous avons lancé InSphero en 2010 en tant que spin-off de l’ETH Zurich et de l’Université de Zurich. Wolfgang Moritz et Jens Kelm travaillaient depuis une dizaine d’années sur le développement et le perfectionnement des techniques de culture cellulaire en 3D, et nous savions que le moment était venu de transformer la science en une offre commerciale pour les entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques. Je me suis associé à eux pour créer InSphero.
Quel est le parcours des fondateurs d’InSphero ?
Wolfgang est biologiste, Jens est ingénieur en biotechnologie et je suis ingénieur en microtechnique. Cette complémentarité nous a permis de créer une entreprise où nous combinons une technologie de pointe et évolutive avec une compréhension approfondie de la biologie des maladies humaines. C’est cette combinaison qui fait notre spécificité sur le marché.
Qui est l’équipe actuelle d’InSphero ?
Au fil des années, l’entreprise s’est développée pour atteindre un effectif de 75 personnes et nous avons mis en place une excellente équipe de direction expérimentée. Comme nous sommes en train de grandir, il était essentiel pour nous de recruter des managers ayant une grande expérience de l’industrie, et qui seraient en mesure d’aider l’entreprise à passer à l’échelle supérieure.
Quelle est la mission d’InSphero ?
En développant et en fournissant des modèles humains 3D in vitro prédictifs, reproductibles et évolutifs, nous modernisons la découverte de médicaments de manière à inspirer les chercheurs du monde entier à atteindre leur plein potentiel et à alimenter une nouvelle ère de médicaments révolutionnaires. Notre objectif est de rendre ces modèles 3D uniques disponibles partout, immédiatement, avec une facilité d’utilisation et un prix abordable qui permettent à toutes les recherches de bénéficier de notre technologie. Nous sommes convaincus de ses avantages et nous voyons chaque jour les succès de nos clients, c’est pourquoi nous souhaitons démocratiser cette technologie.
Quelles solutions (services, produits, applications) proposez-vous ?
InSphero donne accès à ses solutions à plusieurs niveaux d’intégration et de complexité, en fonction des besoins et capacités de nos clients. Nous avons créé et commercialisons un large portefeuille de microplaques spécialement conçues aux formats 96 et 384 puits, certaines incluant des composants microfluidiques pour des applications d’organes sur puce. En utilisant ces plaques, nous avons perfectionné le développement de modèles d’organes et, en tant que pionnier dans ce domaine, nous expédions ces modèles prêts à être testés sous forme de cultures cellulaires 3D vivantes ou cryoconservées dans le monde entier. InSphero offre des services et solutions standards et personnalisés pour la toxicologie du foie, les maladies métaboliques (comme le diabète T1 et T2 ou les maladies hépatiques NAFLD et NASH) et l’oncologie, avec un accent sur l’immuno-oncologie et les modèles PDX (xénogreffe dérivée de la tumeur du patient).
Quels tissus/matériaux humains utilisez-vous et d’où proviennent-ils ?
Nous utilisons principalement des cellules humaines (primaires et lignées cellulaires) provenant de fournisseurs commerciaux pour former nos sphéroïdes multi-cellulaires.
En quoi vos solutions sont-elles “évolutives, fiables et reproductibles” ?
Tout d’abord, le modèle sphéroïde est une combinaison idéale de miniaturisation et de complexité physiologique. Les caractéristiques de nos formats 96 et 384 puits à haut débit permettent aussi d’automatiser la formation, la manipulation et l’analyse des sphéroïdes. Enfin, grâce à un approvisionnement contrôlé en cellules, des protocoles de production optimisés et des méthodes de lecture adaptées et validées en 3D, nous pouvons garantir une variabilité minimale d’une plaque à l’autre et d’un lot à l’autre. Tous ces éléments sont essentiels pour offrir une complexité physiologique.
Comment votre technologie a-t-elle évolué ?
À partir de plaques spécialement conçues, nous avons très tôt reconnu la valeur et le besoin de modèles 3D normalisés. Au cours des dernières années, ces modèles ont été perfectionnés et développés pour devenir des modèles de maladies fonctionnelles avec un haut degré de complexité biologique. Parallèlement, nous avons mis au point des méthodes de lecture multiparamétriques (essais biochimiques, imagerie 3D, transcriptomique) afin d’extraire des informations précieuses pour la prise de décision.
Quels types d’expériences sur les animaux pouvez-vous remplacer ?
Je serais prudent avec l’utilisation du mot “remplacer”. À ce stade, nous sommes spécifiquement prêts à développer des modèles in vitro qui sont au moins “aussi prédictifs” que les modèles animaux actuels. Pour les modèles MASH, le diabète, la toxicité hépatique et certains modèles tumoraux (en particulier avec les PDX), nous pouvons actuellement atteindre un stade de prédiction équivalent à celui des modèles animaux standard pour ces conditions et ces critères.
Quels sont les avantages par rapport à l’expérimentation animale ?
Nous utilisons des cellules humaines qui modélisent les réactions humaines aux nouvelles molécules et thérapies, ce qui permet une traduction plus étroite. Les modèles in vitro sont plus évolutifs et permettent des essais plus rapides, moins coûteux et acceptés sur le plan éthique.
Avec quels clients/entreprises collaborez-vous ?
Nous travaillons avec un grand nombre d’entreprises, allant des grandes sociétés pharmaceutiques aux petites et moyennes entreprises de biotechnologie, en passant par les institutions universitaires et gouvernementales. 18 des 20 plus grandes sociétés pharmaceutiques utilisent régulièrement nos produits et services. Nous occupons une position forte dans l’évaluation de la sécurité des composés, qui est assez universelle. En outre, nous disposons de services de découverte pour la recherche sur les troubles métaboliques tels que la NASH et le diabète, et l’oncologie. Par ailleurs, nous fournissons notre gamme Akura™ de consommables de culture cellulaire aux institutions académiques qui souhaitent construire leurs propres modèles fournissant des résultats reproductibles, robustes et évolutifs.
Comment trouvez-vous l’argent pour développer vos produits ?
Une grande partie de nos revenus provient de l’utilisation commerciale de nos produits et services. Nous participons également à des projets financés par des fonds publics et à des collaborations de recherche qui soutiennent la création de nouveaux modèles et de nouvelles applications pour notre portefeuille.
Avez-vous besoin d’investisseurs et si oui, comment les choisissez-vous ?
En tant qu’entreprise en pleine croissance, nous sommes heureux de pouvoir compter sur le soutien de nos investisseurs de longue date qui partagent notre vision d’être une alternative fiable et évolutive à l’expérimentation animale, tout en réduisant les coûts du processus de développement des médicaments. Nous disposons d’un portefeuille d’investisseurs diversifié, composé d’investisseurs privés en phase de démarrage, d’investisseurs institutionnels et, plus récemment, d’investisseurs stratégiques tels que Zeiss Ventures, qui peuvent également bénéficier de nos connaissances pour stimuler l’innovation au sein de leur portefeuille.
Quels sont les projets d’InSphero ?
Nos principaux projets concernent l’évaluation de la sécurité préclinique ou les tests d’efficacité des composés de recherche. Nous permettons à nos clients de mieux comprendre les mécanismes d’action déclenchés par ces composés et nous les aidons à prendre des décisions éclairées sur ceux qui sont considérés comme sûrs, réduisant ainsi le taux d’échec des essais cliniques.
Pensez-vous que la Suisse doive mieux réorienter les fonds existants ?
La Suisse est un pays innovant et le nombre de start-ups a considérablement augmenté ces dernières années. Le financement de ces entreprises n’est pas facile et les options pour accéder au financement de la croissance sont plus difficiles qu’aux États-Unis, par exemple.
Comment expliquer que les alternatives, et notamment les méthodes de substitution à l’expérimentation animale, soient encore si peu soutenues par rapport à l’expérimentation animale, qui reçoit chaque année 100 millions de la Confédération et des cantons ?
Il s’agit d’un équilibre entre le soutien réglementaire et l’adoption technologique. L’expérimentation animale a été la méthode de choix pendant de nombreuses années et ce n’est que récemment que la législation a été adaptée pour approuver l’utilisation de méthodes alternatives, c’est-à-dire qu’il est toujours possible de recourir à l’expérimentation animale traditionnelle. La création d’incitations pour que les entreprises adoptent de nouvelles méthodologies ou la limitation accrue du financement des méthodes traditionnelles peuvent stimuler l’innovation. L’interdiction de l’expérimentation animale pour les applications cosmétiques par l’Union européenne en 2011 en est un bon exemple.
Le développement de méthodes alternatives est-il également un choix éthique pour vous ?
Oui, en effet, d’un point de vue éthique, si l’on sait que certains modèles animaux ne permettent pas de prédire le résultat, continuer à les utiliser est contraire à l’éthique, tant du point de vue de l’utilisation des animaux que du temps et des ressources consacrés au développement de thérapies qui n’ont aucune chance de succès.
Selon vous, peut-on dire que le modèle animal n’est pas fiable ?
Dans de nombreux domaines, comme l’oncologie, les maladies neurologiques ou infectieuses, les modèles animaux ne sont pas prédictifs. Cependant, pour de nombreuses maladies rares et génétiques, les modèles animaux, s’ils existent, sont très prédictifs.
À long terme, les technologies que vous développez pourront-elles remplacer complètement l’expérimentation animale ?
Dans l’état actuel des choses, l’idée est de parvenir à être aussi prédictif, sinon plus, que les modèles in vivo, afin que ces données puissent être soumises aux autorités réglementaires avec un degré élevé de confiance. Parvenir à un niveau “au moins aussi prédictif” est la première étape de l’adoption de ces nouvelles méthodologies d’approche in vitro.
Quels types d’expériences ne peuvent pas encore être remplacés et comment le faire ?
Les études de toxicité juvénile restent un domaine difficile à reproduire dans un système in vitro et il reste encore beaucoup à faire dans le domaine de la transposition de l’in vitro pédiatrique à l’in vivo.
De plus en plus de scientifiques remettent en cause l’efficacité du modèle animal pour la santé humaine. Certains scientifiques estiment que 90 à 95 % des molécules testées sur les animaux n’arrivent jamais sur le marché. Est-ce également votre constat ?
Oui, l’attrition des petites molécules dans le pipeline de développement des médicaments est encore très élevée en raison du manque de modèles prédictifs pertinents pour l’humain au stade préclinique. L’échec de la mise sur le marché de ces médicaments est dû à la combinaison de mauvais modèles et de mauvaises cibles.
Comment pensez-vous que la recherche en Suisse évoluera dans les années à venir ? Pourrons-nous un jour nous passer de l’expérimentation animale ?
Nous pensons que la Suisse, ainsi que d’autres pays qui font partie de la Communauté européenne, développeront des modèles physiologiques pertinents pour remplacer et réduire l’utilisation de modèles animaux, lorsque celle-ci n’est pas pertinente.
La LSCV et d’autres associations ont lancé une campagne qui demande un plan d’abandon de l’expérimentation animale. Qu’en pensez-vous ?
Je pense qu’il s’agit d’une campagne importante. Il serait également très puissant de suggérer qu’en plus de mettre fin à la cruauté envers les animaux, cette campagne permettrait également de mettre plus rapidement de meilleurs médicaments à la disposition des patients grâce à l’utilisation de modèles non animaux plus pertinents pour l’humain.