Toute expérience impliquant des animaux doit faire l’objet d’une autorisation délivrée par les autorités suite à une pesée des intérêts et une évaluation du “caractère indispensable” de l’expérience par une commission cantonale. Mais qui en sont les membres qui prennent ces décisions importantes ? Il est parfois difficile de trouver des informations à leur sujet. Focus sur la Suisse romande.

 

Fribourg
En cherchant sur le site du canton de Fribourg, il a longtemps été impossible de trouver la liste des membres de la commission cantonale. Une amélioration semble avoir été apportée – suite à plusieurs mails que nous avons envoyés aux responsables de la commission ? Depuis quelques mois, la liste est trouvable ici : https://bit.ly/Commission-Experimentation-Animale-Fribourg. Seul hic – et de taille : impossible de savoir en un clic qui occupe quelle fonction. Cela n’est pas très pratique pour reconnaitre les personnes qui sont censées représenter les associations de protection animale. On se demanderait presque si cela est volontaire.

Genève
Le canton de Genève est l’un des rares à mettre ces informations d’intérêt public à disposition sur son site internet, que l’on peut trouver très facilement. Toutes les commissions sont répertoriées ici : https://cof.silgeneve.ch/. On peut facilement voir les derniers rapports de la commission. Un problème cependant : impossible de trouver des informations sur les deux membres censé·e·s représenter des associations de protection des animaux (Maria Cristina Diamantini Trugenberger et Marcel Gyger) ni de quelles associations il s’agit. On ne peut donc pas s’assurer que ces personnes vont vraiment porter la voix des animaux, ou s’il s’agit de membres alibis.

Jura
Lucas Bassin, du Service de la consommation et des affaires vétérinaire nous a répondu : “Nous avons très peu de demandes d’expérimentation animale et toujours avec des degrés de contrainte faible (balises pour cigognes, cours de formation à l’insémination artificielle des bovins). Comme nous n’avons pas d’universités avec des animaux de laboratoire ou autres instituts de ce genre, nous n’avons pas de spécialistes pour former une commission. Nous avons un contrat avec le canton de Vaud qui nous met à disposition sa commission. Il y a également des expériences autorisées dans d’autres cantons qui sont effectuées dans le nôtre (recherches vétérinaires peu invasives sur les chevaux ou suivi des grands prédateurs) mais le degré de contraintes de ces expériences n’est pas supérieur à 1. Je valide et fixe les conditions pour les expériences de degré 0.

Neuchâtel
Pierre-François Gobat, vétérinaire cantonal, a indiqué que : “Le canton de Neuchâtel n’a pas de commission cantonale propre ; il a délégué cette tâche au canton de Vaud. La liste des membres peut donc être demandée à ce canton.

Vaud
Pour ce canton également, impossible de trouver les informations en ligne. Le vétérinaire cantonal, Giovanni Peduto, nous à répondu ceci par mail : “nous vous transmettons les noms des membres qui composent la commission et les organisations qu’ils représentent :

  • Président, indépendant proposé par le Département : Daniele Roppolo
  • Vice-présidente, indépendante proposée par le Département : Annick Clerc Bérod
  • Représentants UNIL : Ariane Müller et Manuel Mameli
  • Représentant EPFL : Raphaël Doenlen
  • Représentant-e-s des sociétés de protection des animaux : Debra Kirchdoerffer (SPA la Côte)
    et Simon Barraud (Ligue vaudoise de défense des animaux)
  • Représentant Société vaudoise des vétérinaires : Marc-Alain Tièche
  • Représentant des sociétés de protection de la nature : Pierre Perréaz (Pronatura Vaud)
    […] La composition de la commission est disponible sur simple demande auprès de notre autorité. C’est le droit cantonal à l’article 9 de la loi cantonale d’application de la législation sur la protection des animaux qui définit la composition de la commission. Bien que cette information ne soit pas publiée en ligne, elle est transmise de manière transparente à toute personne qui en fait la demande.

Valais
Claire Zen-Ruffinen, adjointe au vétérinaire cantonl, nous a répondu ceci : “Notre canton ne compte que très peu d’expériences sur animaux (4 en 2024). Notre Office n’a pas de commission. En cas de de demande, nous disposons d’un contrat avec le Service vétérinaire du canton de Vaud qui traiteront les cas.

Pour mieux comprendre le fonctionnement et les prérogatives de ces commissions, nous avons interviewé Christian Rodriguez Perez, membre de celle de Fribourg. Nous l’avons questionné sur son parcours et ses motivations à rejoindre une telle commission. Tenu au secret de fonction, il n’a pas le droit de dévoiler d’informations sensibles.

 

Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?

Je suis né et j’ai grandi à Bienne après que mes parents ont immigré en Suisse depuis la Galice, en Espagne. Mon intérêt pour la philosophie et les sciences sociales remonte à l’époque du lycée, mais ce n’est que vers la fin de mes études universitaires que je me suis focalisé sur l’éthique. Aujourd’hui, je me considère comme un éthicien, mais également comme un chercheur et acteur interdisciplinaire combinant éthique, sociologie et psychologie, entre autres.

En 2018, vous avez obtenu un master en philosophie à l’Université de Fribourg, avec un mémoire combinant éthique animale et éthique des populations, pour analyser l’utilisation des animaux dans l’agriculture : pourquoi ce choix ?

En découvrant l’éthique animale, j’ai su instantanément que je voudrais réaliser mon mémoire sur ce sujet. Cette thématique a profondément bousculé mes perspectives. Mon travail a traité de nombreuses positions, allant du déontologisme à l’utilitarisme et de l’abolitionisme au welfarisme. Mon argument cherchait à démontrer que, en dépit de nos intuitions, certaines formes d’utilitarisme favorisent jusqu’à un certain point l’industrialisation de l’utilisation des animaux dans l’agriculture.

Vous avez été enseignant, responsable pédagogique, conseiller en développement professionnel… Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir doctorant et assistant de recherche à l’Institut d’éthique biomédicale (IBMB) de l’Université de Bâle ?

Suite à mes études, j’envisageais une carrière d’enseignant, notamment en philosophie. En marge de l’enseignement, j’ai effectivement fait de la recherche, du conseil et du design pour des entreprises et des particuliers. Je me plaisais dans ces activités, liées d’une certaine manière à mes domaines d’étude, mais revenir dans l’académie pour faire de la recherche a toujours été une aspiration. Lorsque la possibilité de réaliser un doctorat interdisciplinaire en bioéthique en lien avec les animaux s’est présentée, je l’ai vue comme l’occasion idéale.

Votre carrière se concentre sur l’éthique animale : d’où vient votre intérêt pour les droits des animaux ? Quel a été votre rapport aux autres animaux ?

En grandissant à Bienne, j’ai principalement été en contact avec des animaux de compagnie. Chez moi, nous avons eu des poissons, des hamsters, des canaris, et des chats. Lors de nos vacances d’été en Galice nous étions davantage en contact avec des animaux destinés à une autre utilité. Dans notre village, des voisins avaient des animaux dédiés au transport tels que des ânes, ainsi que des animaux dédiés à la consommation tels que des poules, des vaches, des porcs ou encore des lapins. Je n’ai jamais questionné ces pratiques à cette époque, mon intérêt pour l’éthique animale s’est développé principalement à la rencontre des arguments philosophiques.

Vous participez au projet financé par le FNS « EXPLOR3R : Exploring 3R with Experimental Ethics » dans le cadre du Programme national de recherche PNR79 « Advancing 3R ». Quel est votre rôle ?

La communication au public n’est toujours pas légalement requise, mais il est probable que l’OSAV y procède par souci de transparence. Connaitre le sort de ces animaux est important, car la réalité et que la majorité d’entre eux sont tués simplement pour des raisons logistiques et économiques. Ils ne peuvent en effet pas être gardés indéfiniment en animalerie. Ceci pose un problème éthique important sur lequel davantage de transparence est nécessaire. Ce qui est essentiel à mon sens, c’est que ces informations soient transmises de manière proactive et accessible à la population afin qu’elle soit en mesure de peser correctement les implications de l’expérimentation animale. Mon rôle est celui d’assistant de recherche dans le cadre d’un doctorat. Je défendrai ma thèse fin 2025, mais le projet se poursuivra jusqu’en 2026. Dans le cadre de cette recherche, ma fonction est d’explorer le principe des 3R dans l’expérimentation animale d’un point de vue éthique. Le principe des 3R est l’idée de “Replacer, Réduire et Raffiner” l’utilisation des animaux dans la recherche. Ce principe n’est ni évident à définir, ni à appliquer. Les institutions et auteurs tendent à définir les 3R différemment, et leur application pratique sur le terrain varie et est perçue de diverses manières par les professionnels impliqués dans l’expérimentation animale. En outre, il y a la question de la dimension éthique (s’il y en a une) de ce principe. Pour ces raisons, nous explorons le sujet de manière empirique avec des professionnels du domaine, mais également avec le public suisse. Nous avons réalisé des entretiens individuels, des expériences basées sur des scénarios éthiques, et même des entretiens de groupe avec des jeunes dans des écoles en Suisse romande et alémanique. Le but est de mieux comprendre les lacunes comme les atouts du principe des 3R en vue de révisions futures.

Comment imaginez-vous les prochaines décennies concernant notre rapport aux animaux dits « de laboratoire », et quels sont les principaux freins au développement de méthodes de recherche éthiques selon vous ?

Sur la question de l’expérimentation animale, force est de constater que les arguments et positions n’ont pas tant changé lorsque l’on compare, par exemple, l’initiative populaire de 1984 et celle de 2022 en Suisse. La loi est devenue plus stricte, et davantage d’espèces animales (y compris invertébrées) sont aujourd’hui protégées, une tendance qui pourrait se poursuivre. Toutefois, la similarité des débats lors de telles initiatives est frappante, et je crains que la nouvelle initiative populaire « Oui à un avenir sans expérimentation animale » ne fasse pas exception, bien qu’elle propose différentes étapes avant une interdiction totale. Ce qui est intéressant pour l’avenir est que nous constatons aujourd’hui un tournant dans lequel il est davantage question de « stratégie de sortie » plutôt que d’interdiction. Cela peut s’avérer efficace pour un changement de paradigme et un meilleur investissement dans des méthodes sans animaux.

Peu de personnes savent que plus d’un million d’animaux de laboratoire dits « surnuméraires » sont tués chaque année en Suisse, sans avoir été utilisés dans le cadre d’expériences, car ils ne possédent pas les bonnes caractéristiques génétiques. Pourquoi la population est-elle si peu informée ?

C’est un problème de transparence important que nous traitons dans le cadre de notre projet et au sujet duquel nous avons eu des discussions avec l’Office Fédéral de la Sécurité Alimentaire et des Affaires Vétérinaires (OSAV). Pour une part importante de la population, il est probable que l’information sur le rapport statistique annuel de l’expérimentation animale se fasse à travers les médias. Il s’agit donc généralement d’articles contenant les points clés du rapport, dans lesquels les animaux dits « surnuméraires » ainsi que leur sort ont manqué par le passé. Avant 2025, la loi suisse n’exigeait pas que ces informations soient rapportées par les animaleries à l’OSAV, ni communiquées au public. L’accent était généralement mis sur le nombre d’animaux utilisés en expérience, ou sur les « degrés de sévérité ». À ce sujet, un changement positif de la loi est à noter depuis début 2025 : les animaleries doivent désormais rapporter le nombre d’animaux dits « surnuméraires » à l’OSAV.

Vous avez rejoint la commission cantonale pour l’expérimentation animale de Fribourg en janvier 2024 : qu’est-ce qui vous a motivé ?

Rejoindre cette commission représentait la possibilité de mettre en pratique les connaissances et compétences inhérentes à ma recherche, mais aussi d’aller plus loin en proposant des perspectives nouvelles sur les cas à évaluer ainsi que sur l’interprétation de la loi et des directives. Qu’il s’agisse de non-humains ou d’humains, l’application pratique de l’éthique a toujours été au centre de mon intérêt et c’est la raison pour laquelle j’ai souhaité me lancer dans ce rôle.

Concrètement, à quoi sert une telle commission cantonale ?

Selon la loi suisse, toute expérience sur des animaux protégés par la loi doit faire l’objet d’une autorisation par l’autorité cantonale. Ces expériences sont classées par « degrés de sévérité » allant de 0 à 3. Toutes les expériences de degré 1, 2, ou 3, doivent être examinées par la commission, qui est ensuite chargée de donner un préavis à l’autorité cantonale. Lors de notre évaluation, nous devons vérifier la validité et la nécessité de l’expérience, et si les conditions sont remplies procéder à une pesée des intérêts, avec d’une part les maux aux animaux et d’autre part les bénéfices pour la société. De plus, les membres de la commission participent au contrôle des expériences et des établissements qui détiennent des animaux destinés à l’expérimentation.

Quel est votre bilan après une année : vous sentez-vous utile ?

Dans les limites de ce que la loi suisse impose, je suis satisfait de ma contribution au sein de la commission. La composition de la commission fribourgeoise prévoit un membre issu de l’éthique ou du droit, et c’est ce rôle que j’occupe. Je pense qu’il est indispensable d’avoir de tels profils pour veillez à l’application de la loi, car les considérations éthiques sont déterminantes dans l’évaluation. Je sens donc que c’est une fonction utile et importante, qui peut faire la différence dans certains cas.

Il y a très peu de (voire aucun) refus de demandes d’expériences : pourquoi ?

C’est une question importante, débattue dans la littérature et sur laquelle se penche le projet THINK-3R à l’Université de Bâle. Il y a trop d’éléments à relever pour une réponse succincte, mais il est important de mentionner un aspect clé. En vue d’autoriser une expérience, la loi suisse requiert une « pesée des intérêts », avec d’un côté les maux aux animaux et de l’autre les bénéfices pour la société. De nombreuses voix remettent en question cet exercice, du fait qu’il compare deux éléments qui sont difficilement comparables. Si la plupart des demandes d’expériences sont finalement acceptées, cela signifie que la pesée des intérêts a résulté au bénéfice de la société, généralement des humains, et au détriment des animaux utilisés. Cependant, on peut s’attendre à
ce que ce résultat ne soit pas partagé par tous, car il s’agit d’un jugement subjectif pour lequel la loi suisse et ses directives ne fournissent pas de critères clairs à mon sens.

Dans le canton de Zurich, les membres de la commission disposent d’un droit de recours unique en son genre. Lorsque des expériences sont autorisées, trois membres représentant la protection des animaux peuvent faire recours. Puis la demande doit être jugée par le tribunal administratif si les autres membres sont favorables à l’autorisation. Un fonctionnement similaire dans toutes les commissions cantonales serait-il souhaitable ?

J’estime que c’est un modèle intéressant, d’autant plus qu’il s’avère que ce type de recours n’est pas utilisé excessivement et que plusieurs ont finalement eu gain de cause auprès du Tribunal fédéral. C’est toujours un débat de savoir si ce type de commission cantonale devrait davantage fonctionner au consensus ou au vote. Dans un sens, l’absence de consensus remet en question l’efficacité du processus de pesée des intérêts. Mais comme dit plus haut, la pesée des intérêts reste un exercice hautement subjectif. Je pense donc que cette approche a ses avantages.